viernes, 20 de marzo de 2015

Les Sabines par Marcel Aymé

Desnudo bajando la escalera de Duchamp.

"Il y avait à Montmartre, dans la rue de l'Abreuvoir, une jeune femme prénommée Sabine, qui possédait le don d'ubiquité. Elle pouvait à son gré se multiplier et se trouver en même temps, de corps et d'esprit, en autant de lieux qu'il lui plaisait souhaiter. Comme elle était mariée et qu'un don si rare n'eût pas manqué d'inquiéter son mari, elle s'était gardée de lui en faire la révélation et ne l'utilisait guère que dans son appartement, aux heures où elle y était seule. Certains après-midi d'hiver ou de grande pluie qu'elle avait peu d'entrain à sortir, il arrivait aussi à Sabine de se multiplier par dix ou par vingt, ce qui lui permettait de tenir une conversation animée et bruyante qui n'était du reste rien de plus qu'une conversation avec elle-même. Antoine Lemurier, son mari, était loin de soupçonner la vérité et croyait fermement qu'il possédait, comme tout le monde, une femme indivisible. Une seule fois, rentrant chez lui à l'improviste, il s'était trouvé en présence de trois épouses rigoureusement identique aux attitudes près, et qui le regardaient de leurs six yeux pareillement bleus et limpides, de quoi il était resté coi et bouche un peu bée. Sabine s'étant aussitôt rassemblée, il avait cru être victime d'un malaise, opinion dans laquelle il s'était entendu confirmer par le médecin de la famille, qui diagnostiqua une insuffisance hypophysaire et prescrivit quelques remèdes chers.
Un soir d'avril, après dîner, Antoine Lemurier vérifiait des bordereaux sur la table de la salle à manger et Sabine, assise dans un fauteuil, lisait une revue de cinéma. Levant les yeux sur sa femme, il fut surpris de son attitude et de l'expression de sa physionomie. La tête inclinée sur l'épaule, elle avait laissé tomber son journal. Ses yeux agrandis brillaient d'un éclat doux, ses lèvres souriaient, son visage resplendissait d'une joie ineffable. Emu et émerveillé, il s'approcha sur la pointe des pieds, se pencha sur elle avec dévotion et ne comprit pas pourquoi elle l'écartait d'un mouvement impatient. Voilà ce qui s'était passé."



Había en Montmartre, en la calle del Comedero, una joven llamada Sabine, que poseía el don de la ubicuidad. Podía multiplicarse a voluntad y estar al mismo tiempo, el cuerpo y el espíritu, en tantos lugares como quisiera. Como ella estaba casada y un raro don no habría dejado de molestar a su marido, se cuidaba de revelarselo y el poco utilizado en su apartamento, las horas en que ella estaba sola. De mañana pór ejemplo saliendo del baño, ella se desdoblaba o triplicaba por la comodidad de examinar su maqullaje, su cuerpo y su conducta. Una vez finalizado el examen se apura por reensamblarse es decir de fundirse en una solo persona. Algunos tardes de invierno o fuerte lluvia que era poco entusiasmo para salir, él también pasó a Sabine multiplicar por diez o veinte años, lo que le permite mantener una conversación concurrida y ruidosa n ' el resto no era más que una conversación consigo mismo. Antoine Lemurier su marido, subjefe en lo contenciosos de SBNCA, estaba lejos de sospechar la verdad y firmemente creía que tenía, como todo el mundo, mujer indivisible. Una vez, volviendo a casa inesperadamente, se encontró en la presencia de tres esposas exactamente las mismas actitudes acerca y mirando a los ojos de sus seis azul igualmente claro, a lo que permaneció en silencio y la boca entreabierta. Sabine se está recogiendo una vez que él había creído que es víctima de un malestar, opinión en la que él había oído confirmado por el médico de cabecera, quien le diagnosticó insuficiencia hipofisaria y prescrito algunos remedios caros.Una noche de abril, después de la cena, Antoine Lemurier resbalones de cheques en la mesa del comedor para comer y Sabine, sentado en una silla, leyendo una revista de cine. Mirando a su esposa, que estaba sorprendido por su actitud y la expresión de su rostro. La cabeza inclinada sobre el hombro, se le había caído su periódico. Sus ojos brillaban con suave resplandor ampliada, sus labios sonreían, su rostro brillaba con gozo inefable. Emocionado y sorprendido, caminó de puntillas, se inclinó sobre ella con devoción y no entendían por qué ella lo apartó con un movimiento impaciente. Eso es lo que pasó.
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Les Sabines
Fran Cité, №2, janvier 2001

Marcel Aymé"Les Sabines" est la nouvelle qui fait partie du recueil "Le passe-muraille" publié par Marcel Aymé en 1943. A mi-chemin entre le conte fantastique et le conte philosophique, ces nouvelles s'enracinent aussi dans une réalité terriblement concrète: l'occupation allemande, quand la vie se présente comme une tragédie, mais jouée par des fantoches. L'histoire fantasmagorique qui commence à Montmartre, tellement aimé de cet écrivain, fait renaître l'ambiance de ce village "à part" de Paris, immortalisé par ses peintres, ses artistes et son style de vivre.
Possédant le don d'ubiquité, Sabine se dédouble en épouse de l'employé Lemurier et en amante du jeune peintre montmartrois Théorème. Pour financer ses dépenses, elle devient aussi lady Burburry en épousant un riche Anglais. Théorème se livre à la débauche, et abandonné par sa maîtresse, se rachète en devenant un grand artiste. Cependant les clones de Sabine se multiplient et séduisent la planète.
Les passages tirés de cette nouvelle dont la lecture vous est proposée dans ce numéro de notre journal, parlent de l'histoire d'amour entre Sabine et Théorème.

Les Sabines

Il y avait à Montmartre, dans la rue de l'Abreuvoir, une jeune femme prénommée Sabine, qui possédait le don d'ubiquité. Elle pouvait à son gré se multiplier et se trouver en même temps, de corps et d'esprit, en autant de lieux qu'il lui plaisait souhaiter. Comme elle était mariée et qu'un don si rare n'eût pas manqué d'inquiéter son mari, elle s'était gardée de lui en faire la révélation et ne l'utilisait guère que dans son appartement, aux heures où elle y était seule. Certains après-midi d'hiver ou de grande pluie qu'elle avait peu d'entrain à sortir, il arrivait aussi à Sabine de se multiplier par dix ou par vingt, ce qui lui permettait de tenir une conversation animée et bruyante qui n'était du reste rien de plus qu'une conversation avec elle-même. Antoine Lemurier, son mari, était loin de soupçonner la vérité et croyait fermement qu'il possédait, comme tout le monde, une femme indivisible. Une seule fois, rentrant chez lui à l'improviste, il s'était trouvé en présence de trois épouses rigoureusement identique aux attitudes près, et qui le regardaient de leurs six yeux pareillement bleus et limpides, de quoi il était resté coi et bouche un peu bée. Sabine s'étant aussitôt rassemblée, il avait cru être victime d'un malaise, opinion dans laquelle il s'était entendu confirmer par le médecin de la famille, qui diagnostiqua une insuffisance hypophysaire et prescrivit quelques remèdes chers.

Un soir d'avril, après dîner, Antoine Lemurier vérifiait des bordereaux sur la table de la salle à manger et Sabine, assise dans un fauteuil, lisait une revue de cinéma. Levant les yeux sur sa femme, il fut surpris de son attitude et de l'expression de sa physionomie. La tête inclinée sur l'épaule, elle avait laissé tomber son journal. Ses yeux agrandis brillaient d'un éclat doux, ses lèvres souriaient, son visage resplendissait d'une joie ineffable. Emu et émerveillé, il s'approcha sur la pointe des pieds, se pencha sur elle avec dévotion et ne comprit pas pourquoi elle l'écartait d'un mouvement impatient. Voilà ce qui s'était passé.

Huit jours auparavant, dans le tournant de l'avenue Junot, Sabine rencontrait un garçon de vingt-cinq ans qui avait les yeux noirs. Lui barrant délibérément le passage, il avait dit : " Madame " et Sabine, le menton haut et l'œil terrible: " Mais, Monsieur. " Si bien qu'une semaine plus tard, en cette fin de soirée d'avril, elle se trouvait à la fois chez elle et chez ce garçon aux yeux noirs, qui s'appelait authentiquement Théorème et se prétendait artiste peintre. Dans le même instant où elle rabrouait son mari et le renvoyait à ses bordereaux. Théorème, en son atelier de la rue du Chevalier-de-la-Barre, prenait les mains de la jeune femme, et lui disait : " Mon cœur, mes ailes, mon âme ! " et d'autres choses jolies qui viennent facilement aux lèvres d'un amant dans les premiers temps de la tendresse. Sabine s'était promis de se rassembler à dix heures du soir au plus tard, sans avoir consenti aucun sacrifice important, mais à minuit, elle était encore chez Théorème et ses scrupules ne pouvaient plus être que des remords. Le lendemain, elle ne se rassembla qu'à deux heures du matin, et les jours suivants, plus tard encore…

Les vacances que Sabine passa cette année-là devaient être les plus belles de sa vie. Elle fut en même temps sur un lac d'Auvergne avec Lemurier et sur une petite plage bretonne avec Théorème. " Je ne t'ai jamais vue aussi belle, lui disait son mari. Tes yeux sont émouvants comme le lac à sept heures trente du matin. " A quoi répondait Sabine par un sourire adorable qui semblait dédié au génie invisible de la montagne. Cependant, sur le sable de la petite plage bretonne, elle se bronzait au soleil en compagnie de Théorème. Sabine avait vendu quelques bijoux de jeune fille et supplié son compagnon de vouloir bien accepter qu'elle fît les frais de leur séjour en Bretagne. Un peu étonné qu'elle prît tant de précautions pour lui faire admettre une chose qui semblait aller de soi, Théorème avait accepté de la meilleure grâce du monde. Il ne pensait pas qu'un artiste dût en aucun cas sacrifier à de sots préjugés, et lui moins que les autres. " Je ne me reconnais pas le droit, disait-il, de laisser parler mes scrupules s'ils doivent m'empêcher de réaliser l'œuvre d'un Gréco ou d'un Vélasquez. "

Vivant d'une maigre pension que lui faisait un oncle de Limoges, Théorème ne comptait pas sur la peinture pour se tirer d'affaire. Une conception de l'art, hautaine et intransigeante, lui interdisait de peindre sans y être poussé par l'inspiration. " Quand je devrais l'attendre dix ans, disait-il, je l'attendrais. " C'était à peu près ce qu'il faisait. Le plus ordinairement, il travaillait à enrichir sa sensibilité dans les cafés de Montmartre ou bien affinait son sens critique en regardant peindre ses amis, et quand ceux-ci l'interrogeaient sur sa propre peinture, il avait une façon soucieuse de répondre : " Je me cherche ", qui commandait le respect. En outre, les gros sabots et le vaste pantalon de velours, qui faisaient partie de sa tenue d'hiver, lui avaient acquis, entre la rue Caulaincourt, la place du Tertre et la rue des Abbesses, une réputation de très bel artiste. Les plus malveillants convenaient encore qu'il avait un potentiel formidable…

- Je suis si malheureux, geignait le peintre. Ces souffrances qui viennent s'ajouter à des soucis déjà si lourds !

Théorème faisait allusion à des soucis d'ordre matériel et spirituel. A l'en croire, il se trouvait dans une situation difficile. Son propriétaire, auquel il devait trois termes, le menaçait d'une saisie. Son oncle de Limoges venait de suspendre brutalement ses mensualités. Pour le spirituel, il passait par une crise douloureuse, quoique féconde en promesses. Il sentait bouillonner et s'ordonner en lui les puissances créatrices de son génie et le défaut d'argent l'empêchait justement de se réaliser. Allez donc peindre un chef-d'œuvre quand l'huissier et la famine sont déjà dans l'escalier. Sabine, frémissante d'une affreuse angoisse, en avait le cœur à la gorge. La semaine précédente, elle avait vendu ses derniers bijoux pour régler une dette d'honneur contractée par Théorème envers un bougnat de la rue Norvins, et se désespérait aujourd'hui de n'avoir plus rien à sacrifier à l'essor de son talent. En réalité, la situation de Théorème n'était ni pire, ni meilleure qu'à l'ordinaire. L'oncle de Limoges, comme par le passé, se saignait affectueusement aux quatre veines pour que son neveu devînt un grand peintre et le propriétaire, pensant naïvement spéculer sur la pauvreté d'un artiste d'avenir, acceptait toujours aussi volontiers que son locataire le payât d'un navet hâtivement bâclé. Mais Théorème, outre le plaisir de jouer au poète maudit et au héros de la bohème, espérait confusément que le sombre tableau de sa détresse inspirerait à la jeune femme les résolutions les plus audacieuses…

Cependant, Théorème s'inquiétait de ne pas recevoir l'argent de sa dernière mensualité. Croyant d'abord à un simple retard, il s'efforça de prendre patience, mais après avoir vécu sur son crédit pendant plus d'un mois, il se résolut à entretenir Sabine de ses ennuis. Trois matins de suite, il se posta vainement rue de l'Abreuvoir pour la surprendre et la rencontra par hasard un soir à six heures.

- Sabine, lui dit-il, je te cherchais depuis trois jours.

- Mais, monsieur, je ne vous connais pas, répondit Sabine.

Elle voulut passer son chemin. Théorème lui mit la main à l'épaule.

- Voyons, Sabine, quelle raison as-tu d'être fâchée contre moi ? J'ai fait ce que tu as voulu. Un beau jour, tu as décidé de ne plus venir chez moi et j'ai souffert en silence, sans même te demander pourquoi tu renonçais à nos rencontres.

- Monsieur, je ne comprends rien à ce que vous dites, mais votre tutoiement et vos allusions incompréhensibles sont injurieuses pour moi. Laissez-moi passer.

- Sabine, tu ne peux pas avoir tout oublié. Souviens-toi. N'osant encore aborder la question des subsides, Théorème s'efforçait de recréer une apparence d'intimité. Pathétique, il évoquait des souvenirs émouvants et retraçait l'histoire de leurs amours. Mais Sabine le regardait avec des yeux étonnés, un peu effrayés et protestait avec moins d'indignation que de stupeur. Le garçon s'entêtait…

Sabine avait été informée d'abord par sa crémière, ensuite par les journaux, des succès de Théorème. Dans une exposition, elle avait, le cœur ébloui et la buée à l'œil, admiré sa Femme à neuf têtes, si tendre et si tragiquement irréelle et pour elle allusive. Son ancien amant lui apparaissait purifié, racheté, rédimé, rétamé, battant neuf et lumière. Pour lui seul, elle osait prier, prier pour qu'il eût bon lit, bonne table, fraîcheur d'âme en toute saison, aussi pour que sa peinture devînt de plus en plus belle.

Théorème avait toujours les yeux noirs, mais sa folie l'avait quitté, bien qu'il disposât des mêmes arguments pour en faire la preuve. Toutefois, sa vie demeurait à peu près la même, laborieuse et le plus souvent solitaire. Selon le souhait de Sabine, sa peinture devenait de plus en plus belle, et les critiques d'art disaient des choses très fines sur la spiritualité de ses toiles. On ne le rencontrait guère dans les cafés et, en présence de ses amis mêmes, il avait la parole rare, le visage et le maintien triste des hommes qui ont épousé une grande douleur. C'est qu'il avait opéré un sérieux retour sur lui-même et jugé sa conduite passée à l'égard de Sabine. Conscient de sa bassesse, il en rougissait vingt fois par jour, se traitant à haute voix de butor, de mufle, de crapaud panard et venimeux, de cochon rengorgé. Il aurait voulu s'accuser devant Sabine, implorer son pardon, mais il se jugeait trop indigne. Ayant fait un pèlerinage à la plage bretonne, il en rapporta deux toiles admirables, à faire sangloter un épicier, et aussi un souvenir aiguisé de sa muflerie. Il entrait tant d'humilité dans sa passion pour Sabine qu'il regrettait maintenant d'avoir été aimé.

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