Goya en el aquelarre

Goya à l’école des sorcières
Par Louvre - Ravioli
Publié le 16 novembre 2021 à 17h57, mis à jour le 27 novembre 2022 à 22h34

Pour lui, l’art est un bon plat à partager. Blogueur au regard libre et curieux, Louvre-Ravioli (aka François Bénard) mitonne chaque mois pour Beaux Arts une savoureuse chronique inédite. Aujourd’hui, vous êtes invité au Sabbat des sorcières de Francisco de Goya. Brochette d’enfants dodus au menu !
Goya en la escuela de brujas
Por el Louvre - Ravioles
Publicado el 16 de noviembre de 2021 a las 17:57, actualizado el 27 de noviembre de 2022 a las 22:34
 
Para él el arte es un buen plato para compartir. Bloguero con una perspectiva libre y curiosa, Louvre-Ravioli (alias François Bénard) prepara cada mes una nueva y deliciosa columna para Beaux Arts. Hoy estás invitado al Sabbath de las Brujas de Francisco de Goya. ¡Brocheta de infantes rellenos en el menú!
Il y a des monstres qui magnétisent. À côté des krakens, griffons et léviathans, Le Sabbat des sorcières (El Aquelarre) (1797–1798) de Goya occupe une place de choix sur la cheminée des horreurs. Planté sur ses pattes arrière, il campe son corps velu, viril. Sabots en avant, il nous fixe avec cette paire d’yeux de merlan frit. Regard imperturbable, stoïque. La compassion ne sera pas du voyage. Ses cornes en forme de lyre ornées de rameaux de chêne serpentent. Au loin, les chauves-souris prolongent le mouvement et s’envolent vers un croissant de Lune.Le gourou magnétise ses groupies. Un cénacle de Séléné s’est rassemblé. C’est un sabbat au bout des sabots, un cercle de sorcières plus ou moins âgées, plus ou moins agenouillées. Autour de la bête obscure, les châles sont dorés, les tuniques presque soyeuses. Sous les fichus fatigués, les visages sont salis, négligés, menton en galoche, nez en crochet. Certaines fanatiques présentent un enfant à leur bouc adoré. Il y en a un tout dodu, tout rose, qui est touché du sabot. L’édentée semble ravie, le grand bouc bénit-il son tout petit ? Le scénario est peu probable.
Hay monstruos que magnetizan. Junto a krakens, grifos y leviatanes, El sábado de las brujas (El Aquelarre) (1797-1798) de Goya ocupa un lugar destacado en la repisa de la chimenea de los horrores. Plantado sobre sus patas traseras, muestra su cuerpo viril y peludo. Avanza con sus cascos y nos mira fijamente con ese par de ojos fritos y blancos. Mirada imperturbable y estoica. La compasión no será parte del viaje. Sus cuernos en forma de lira decorados con ramas de roble serpentean. A lo lejos, los murciélagos continúan el movimiento y vuelan hacia una luna creciente. El gurú magnetiza a sus groupies. Se ha reunido un círculo de Selene. Es un sábado al final de los cascos, un círculo de brujas más o menos viejas, más o menos arrodilladas. Alrededor de la bestia oscura, los chales son dorados y las túnicas casi sedosas. Debajo de los desgastados pañuelos, los rostros están sucios, descuidados, con las barbillas y las narices torcidas. Algunos fanáticos le regalan un niño a su amada cabra. Hay uno muy regordete, muy rosado, que es tocado por la pezuña. El desdentado parece encantado, ¿el cabrío está bendiciendo a su pequeño? El escenario es improbable.
Juste en dessous, une vieille grimaçante brandit un enfant rachitique qui semble moins convenir au Grand Bouc. Au premier plan, sous nos yeux, un enfant est maintenu au sol par une sorcière allongée. Le petit serait-il trop agité ? Sur la gauche, un nourrisson vient de mourir, étalé au sol, verdâtre. Il ne retient pas non plus l’attention du monstre. Au fond du tableau, les enfants sélectionnés sont pendus à un pieu. S’agit-il d’un doggy bag sordide ? Le petit dodu encore rose devrait bientôt garnir cette brochette de nourrissons servie au clair de Lune. Ne manque plus que la boîte de fœtus nuggets pour compléter ce Happy meal de contes cruels.La saga des sorcièresDepuis sa grave maladie contractée en 1793, Goya entame de nouveaux sujets. Après les petites infantes en ballerines et les princes perruqués dans leur crépitante jaquette, il peint des sorcières érotomanes, des enfants découpés et des curés ensorcelés… Des visions moins nobles qui séduisent pourtant l’aristocratie. Le Sabbat des Sorcières (1797–1798) appartient à une série commandée par les ducs d’Osuna pour leur résidence de l’Alameda. Les lustres de la famille ont aussi éclairé Le Vol de Sorcières, Le Sortilège, La Cuisine de sorcières, L’ensorcelé de force et L’invité de pierre qui viennent critiquer les superstitions passées.
Justo debajo, una anciana con una mueca blande a un niño desvencijado que parece menos adecuado para la Gran Cabra. En primer plano, ante nuestros ojos, una bruja tumbada sostiene a un niño en el suelo. ¿El pequeño está demasiado agitado? A la izquierda, un bebé acaba de morir, tendido en el suelo, de color verdoso. Tampoco llama la atención del monstruo. En la parte posterior del cuadro, los niños seleccionados están colgados de una estaca. ¿Es esta una sórdida bolsa para perros? El pequeño y regordete, todavía rosado, pronto adornará esta brocheta infantil servida a la luz de la luna. Sólo falta la caja de pepitas de fetos para completar esta comida feliz de cuentos crueles. La saga de las brujas Desde que contrajera su grave enfermedad en 1793, Goya ha abordado nuevos temas. Después de las pequeñas infantas con bailarinas y los príncipes luciendo sus chaquetas chispeantes, pintó brujas erotómanas, niños mutilados y sacerdotes hechizados... Visiones menos nobles que, sin embargo, atrajeron a la aristocracia. El sábado de las brujas (1797-1798) forma parte de una serie encargada por los duques de Osuna para su residencia en la Alameda. Las lámparas de araña de la familia también iluminaron El vuelo de las brujas, La Sortilège, La cocina de las brujas, La hechizada por la fuerza y ​​El invitado de piedra, que critican las supersticiones del pasado.
Goya appartient à la société espagnole éclairée par les Lumières de son siècle. Le croque-mitaine n’ayant pas sa place dans l’Encyclopédie, la raison doit être le meilleur rempart contre Satan. L’artiste est proche d’auteurs comme Leandro Fernàndez de Moratìn qui rédigent des satires sur les procès de sorcières qui ont eu lieu entre 1550 et 1650. Une époque où l’Europe envoie au bûcher des femmes accusées de pactiser avec le diable. Cette folie collective est née d’un mythe rédigé par des inquisiteurs misogynes, désireux de marginaliser les sages-femmes des campagnes. Faut les comprendre : pourquoi la Contre-Réforme accorderait tant de pouvoir à ces Ève tricardes de l’Éden ?Superstitions super tenaces ?Les démonologues de l’époque – terriblement inspirés – vont sortir leur plume pour chatouiller les peurs du village et inventer un récit à charge contre ces vieilles villageoises illettrées et esseulées. Leur petit conte de poche – imprimé à très grande échelle – affirme qu’il y a dans les campagnes des sorcières qui se rassemblent pour célébrer le diable incarné par un bouc (Aker en Basque). Au cours des cérémonies, le diabolique ruminant se voit notamment offrir des enfants volés par de sordides vieilles biques. Les sages-femmes du village peuvent trembler, les dénonciations vont tomber.
Goya pertenece a la sociedad española iluminada por la Ilustración de su siglo. Dado que el hombre del saco no tiene cabida en la Enciclopedia, la razón debe ser la mejor defensa contra Satanás. El artista es cercano a autores como Leandro Fernández de Moratìn, que escribió sátiras sobre los juicios de brujas que tuvieron lugar entre 1550 y 1650. Una época en la que Europa enviaba a la hoguera a mujeres acusadas de pactar con el diablo. Esta locura colectiva nació de un mito escrito por inquisidores misóginos, deseosos de marginar a las parteras rurales. Hay que entenderlos: ¿por qué la Contrarreforma concedería tanto poder a estas Evas de tres cartas del Edén? ¿Supersticiones súper tenaces? Los demonólogos de la época –terriblemente inspirados– sacarán su pluma para hacerle cosquillas a los miedos del pueblo y inventar una historia contra estas ancianas aldeanas analfabetas y solitarias. Su pequeño cuento de bolsillo –impreso a gran escala– cuenta que hay brujas en el campo que se reúnen para celebrar al diablo encarnado en una cabra (Aker en euskera). Durante las ceremonias, al rumiante diabólico se le ofrecen niños robados por viejas sórdidas. Las parteras del pueblo podrán temblar, las denuncias caerán.
Au Sabbat des sorcières, les cornes de l’aker font penser à une lyre sans corde. Il faut dire que la cérémonie ne fait pas dans la poésie. Le mythe des inquisiteurs mentionne notamment des partouses sataniques, avec fellation et embrassade de l’anus du grand bouc s’il vous plaît [ill. ci-contre], sans oublier les sacrifices d’enfants hors-baptême qui finissent en brochettes. Autant de savoureux détails qui figurent sur la toile. Le Sabbat de Goya ne figure pas les enfournages de balai enduit de substances hallucinogènes, mais son Capricho n°68 ne s’en privera pas.

Les sorcières semblent plus effrayantes que le Grand Bouc. Qui sont ces vieilles dames réunies ? Des blanchisseuses délavées, des paysannes bossues, des soigneuses édentées ? Tous ces visages sont surtout burinés par notre ignorance, probablement symbolisée par le vol des chauves-souris. Goya les fait souvent planer au-dessus de ses visions ensorcelées, déployant leurs ailes sombres. Son bouc inflexible fixe droit le spectateur. Pour cette fois, serait-ce lui l’inquisiteur face aux villageois qui ont envoyé leurs voisines au bûcher ?

Chez Goya, il n’y a pas de légèreté voltairienne. Peut-être que le rire tient trop du mécanisme de défense… En exorciste, il nous plonge la tête dans le seau de nos peurs, nos angoisses, nos envies terribles… Toute l’essence noire de la déraison. Désabusé par le genre humain, il connaît trop la capacité de l’homme à croire en l’absurde, à fantasmer des complots, à dénoncer son voisin… En revoyant son bouc, certains penseront peut-être au dieu Pan. Dans la mythologie grecque, cette créature mi-homme mi-bouc incarne la panique, cette peur collective qui déborde la raison et la pensée logique, et déclenche l’hystérie.
En el sábado de las brujas, los cuernos del aker se asemejan a una lira sin cuerda. Hay que decir que la ceremonia no es poética. El mito de los inquisidores menciona en particular las orgías satánicas, con felación y besos en el ano de la gran cabra, si se quiere [ill. opuesto], sin olvidar los sacrificios de los niños fuera del bautismo que terminan en brochetas. Tantos detalles deliciosos que aparecen en el lienzo. El sábado de Goya no presenta la basura de una escoba recubierta de sustancias alucinógenas, pero su Capricho n°68 tampoco no se priva de ella.

Las brujas parecen más aterradoras que la Gran Cabra. ¿Quiénes son estas ancianas reunidas? ¿Lavanderas descoloridas, campesinos jorobados, enfermeras desdentadas? Todos estos rostros están desgastados principalmente por nuestra ignorancia, probablemente simbolizada por el vuelo de los murciélagos. Goya a menudo los hace flotar sobre sus visiones hechizadas, extendiendo sus alas oscuras. Su inquebrantable barba de chivo mira fijamente al espectador. ¿Esta vez sería él el inquisidor frente a los aldeanos que enviaron a sus vecinos a la hoguera?

En Goya no hay ninguna ligereza volteriana. Quizás la risa sea demasiado mecanismo de defensa... Como exorcista, nos sumerge la cabeza en el cubo de nuestros miedos, nuestras ansiedades, nuestros terribles deseos... Toda la esencia oscura de la sinrazón. Desilusionado por el género humano, conoce demasiado bien la capacidad del hombre de creer en el absurdo, de fantasear conspiraciones, de denunciar al prójimo... Al ver de nuevo a su cabra, algunos tal vez pensarán en el dios Pan. En la mitología griega, esta criatura mitad hombre, mitad cabra encarna el pánico, este miedo colectivo que abruma la razón y el pensamiento lógico y desencadena la histeria.


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